Comme nous l’avons déjà indiqué, l’année scolaire 2020-2021 a continué d’être perturbée par le COVID-19. Bien qu’il existe des différences importantes entre l’apprentissage en ligne traditionnel et l’apprentissage à distance exceptionnel et temporaire qui a eu lieu au cours des deux dernières années (Barbour et al., 2020), aucun rapport sur l’apprentissage à distance, en ligne et/ou mixte de la maternelle à la 12e année au Canada ne serait être complet sans une discussion sur la façon dont les juridictions ont fourni ces opportunités d’apprentissage à distance. Si la réponse à la pandémie est envisagée par phases (voir Figure 1), il est important de commencer la discussion en situant l’année scolaire 2020-2021.
Figure 1. Les quatre phases de réponses éducatives au COVID-19 en termes d’adoption de l’apprentissage à distance et en ligne.
Les auteurs ont décrit les quatre phases comme suit :
Phase 1 : Transition rapide vers l’enseignement et l’apprentissage à distance – Les établissements effectuent un mouvement vers la livraison à distance, s’appuyant souvent sur la vidéo synchrone, avec des changements massifs en seulement quatre semaines.
Phase 2 : (Ré) Ajouter des principes et des éléments de base – Les établissements doivent (ré) ajouter des principes et des éléments de base pour appuyer la transition d’urgence des cours; navigation dans les cours, accès équitable pour tous les élèves, y compris ordinateur fiable et haut débit, soutien aux étudiants handicapés et intégrité académique.
Phase 3: Assurer une transition à long terme dans un contexte de perturbation – Les établissements doivent être prêts à appuyer les élèves pendant un semestre et être prêts à livrer en ligne, même s’ils commencent en face à face.
Phase 4: Nouvelle normalité émergente – Cette phase verrait des niveaux incertains d’adoption de l’apprentissage en ligne, ceux-ci probablement plus élevés que durant les jours pré-COVID-19, mais les établissements auraient de nouveaux outils de soutien et de niveaux de technologie pour appuyer de manière fiable les élèves.
En mars et avril 2020, les écoles de toutes les juridictions du pays ont été contraintes de passer à la phase 1 dans le but de simplement fournir une certaine mesure de continuité d’apprentissage aux élèves de la maternelle à la 12e année. Au printemps 2020, la plupart, sinon la totalité, des juridictions ont été en mesure de passer à la phase 2, où nous avons vu les enseignants et les élèves utiliser des outils “réintroduits” dans le but de reproduire l’l’apprentissage en classe (voir Nagle et al., 2020a pour une description complète de la transition d’urgence à l’apprentissage à distance qui s’est produite à la fin de l’année scolaire 2019-2020).
L’été 2020 aurait dû donner aux juridictions le temps de préparer leurs écoles à passer à la phase 3, une période de transition. La phase 3, souvent appelée phase de va-et-vient, est celle où les écoles sont en mesure de proposer, en fonction de l’épidémiologie locale du virus, un apprentissage en présentiel, un apprentissage à distance ou une combinaison des deux, et ce dans le but d’offrir aux élèves une expérience équivalente, quelle que soit la modalité utilisée. Essentiellement, une situation où les élèves peuvent apprendre tout aussi efficacement en classe ou à la maison grâce à l’enseignement à distance ou même avec un modèle hybride avec certains élèves en classe et d’autres à la maison. La phase 3 est également celle où les enseignants reçoivent des formations adéquates sur la façon d’utiliser les outils pour enseigner de sorte que la démarche utilisée pour enseigner n’affecte pas la qualité des expériences d’apprentissage qu’ils conçoivent, offrent et soutiennent. L’une des façons dont certaines juridictions auraient pu effectuer plus efficacement la transition vers la phase 3 aurait été d’exploiter les ressources existantes des programmes d’apprentissage à distance, en ligne et mixte. Par exemple, la plupart des juridictions avaient soit des programmes d’apprentissage en ligne provinciaux ou un grand nombre de districts scolaires qui offraient des programmes d’apprentissage en ligne, mais seules quelques-unes d’entre-t-elle ont su tirer profit de ces ressources.
L’un des défis liés à l’apprentissage à distance a été l’incapacité ou le manque de temps qu’avaient les enseignants pour créer, à l’avance, du contenu en ligne de qualité pour être utilisé de façon asynchrone. Par conséquent, les enseignants se sont appuyés sur des stratégies conçues pour un enseignement synchrone avec peu d’expérience ou de savoir envers la conception d’un enseignement en ligne. De nombreux programmes universitaires de préparation des enseignants n’offrent aucune programmation axée sur l’apprentissage à distance (Archibald et al., 2020) et, ceux qui le font, l’incluent souvent comme une expérience plutôt générale d’intégration de la technologie. Le fait est que les provinces et/ou les districts scolaires disposaient des outils de diffusion et du contenu nécessaire pour libérer les enseignants de la responsabilité de créer leurs propres expériences d’apprentissage asynchrones. Si ceux-ci avaient été fournis, les enseignants auraient pu se concentrer sur la facilitation de l’apprentissage asynchrone, ce qui va au-delà des méthodes pédagogiques que de nombreux enseignants utilisent en classe. Les méthodes et les approches d’enseignement asynchrones peuvent aider les enseignants à établir des liens avec leurs élèves, en particulier à distance.
Un autre exemple de défi auquel de nombreuses juridictions furent confrontées était le manque de technologie et de bande passante pour les élèves à la maison. De nombreuses juridictions possédaient toujours, ou ont récemment reçu du matériel normalement dédié à l’apprentissage par correspondance qui aurait pu être utilisé, si seulement les enseignants avaient été formés de manière appropriée pour surmonter ce défi au cours de l’été ou durant le délai d’ouverture des écoles à l’automne. Cependant, la réalité était que peu de juridictions ont utilisé la fin précoce de l’année scolaire 2019-2020, la pause de l’été 2020 ou le retard de l’ouverture à l’automne 2020 pour commencer à tirer pleinement parti de leurs ressources existantes d’apprentissage traditionnel, d’apprentissage à distance, d’apprentissage en ligne ou d’apprentissage mixte pour mieux se préparer à l’année scolaire 2020-2021 (voir Nagle et al., 2020b pour une description complète de la planification et de la mise en œuvre de la rentrée scolaire de l’automne 2020).
Comme Nagle et al. (2021a) ont conclu que « la réalité était que certaines juridictions n’avaient pas mis en place la planification ou la préparation nécessaire pour permettre à l’année scolaire 2020-2021 de se dérouler de la manière envisagée ou prévue dans la phase 3 » (p. 3). En fait, pour de nombreuses juridictions, l’année scolaire complète en 2020-2021 a été passée à différents niveaux de la phase 2 avec certaines juridictions revenant même parfois à la phase 1. Étant donné que la phase 3 est essentiellement un modèle où le moyen d’enseignement, par exemple en présentiel ou à distance, n’a aucun impact sur la qualité de l’expérience d’apprentissage ou de l’environnement d’apprentissage. De ce fait, peu importe si l’élève est en classe ou à distance.
En examinant en Nouvelle-Zélande, l’orientation future de l’éducation publique, Wenmoth (2021) fournit un modèle utile pour imaginer à quoi pourrait ressembler cette phase de va-et-vient, à la fois pendant et en l’absence une période de crise (voir la figure 2).
Figure 2. Options d’apprentissage en présentiel, à distance, synchrone et asynchrone aux enseignants et permettant aux étudiants de s’engager dans leur apprentissage. (page 15).
Inhérent à ce modèle, est un système d’éducation où les enseignants et les étudiants peuvent basculer entre les paramètres en présentiel et à distance, où l’apprentissage est dispensé de manière synchrone ou asynchrone, avec un niveau de fidélité résultant que, l’étudiant n’est pas désavantagé par la qualité de l’enseignement dans n’importe quel quadrant. Cependant, ce que nous avons vu à travers le Canada au cours de l’année scolaire 2020-2021, et jusqu’à présent au cours de l’année scolaire 2021-2022 selon LaBonte et al. (2021), n’était pas une transition harmonieuse entre ces options ou un niveau constant de qualité de l’enseignement.
En fait, de nombreuses juridictions se sont empressées de réinventer ce qui existait déjà dans des infrastructures d’apprentissage en ligne ayant du succès. Par exemple, le Centre for Distance Learning and Innovation (CDLI) de Terre-Neuve-et-Labrador possédait plus de 45 cours de niveau secondaire que tous les éducateurs provinciaux pouvaient utiliser au lieu d’avoir à développer leur propre matériel d’apprentissage asynchrone. Cependant, selon les archives publiques, ces cours et le système de gestion de l’apprentissage qui les abritent n’ont jamais été reconnus ou promus comme une ressource dont les enseignants et les étudiants pouvaient profiter. De même, malgré l’accès à un système de gestion de l’apprentissage agréé par la province, contenant des ressources en ligne couvrant l’ensemble des programmes d’études, l’Ontario a lancé un modèle synchrone d’apprentissage hybride dirigé par des enseignants ayant une formation limitée dans le domaine. Les enseignants diffusaient en direct l’enseignement en salle classe aux élèves à distance qui eux regardaient la diffusion sur un écran à la maison, c’est-à-dire s’ils avaient la technologie, la bande passante ou la persévérance nécessaire pour prêter attention à leur enseignant.
Certaines juridictions se sont appuyées sur leurs programmes existants d’apprentissage en ligne pour appuyer les parents et les élèves souhaitant rester à la maison. Cette approche a entrainé une augmentation des inscriptions aux programmes, mais n’a pas nécessairement annulé le besoin d’apprentissage à distance pendant la fermeture des écoles. Par exemple, en Colombie-Britannique, les étudiants se sont vu offrir soit un apprentissage en présentiel ou l’accès à l’une des 69 écoles publiques et indépendantes d’apprentissage en ligne, et le terme « apprentissage à distance » n’a pas été utilisé par le gouvernement (Montreuil, et al., 2021). Il est à noter que tout au long de l’année scolaire 2020-2021, aucune fermeture d’école à l’échelle de la province n’a été annoncée, bien qu’il y ait eu des fermetures d’écoles en raison de l’épidémiologie locale. En fait, le sous-ministre de l’Éducation a indiqué qu’ au cours de l’année scolaire 2020-2021, la fréquentation scolaire en Colombie-Britannique avait augmenté dans les programmes traditionnels et dans les programmes en ligne.
D’autres juridictions ont même développé des modèles d’enseignement qui n’existaient pas auparavant ou qui n’avaient été utilisés que dans des cas isolés dans le système scolaire de la maternelle à la 12e année. En examinant de plus près la réponse de l’Ontario, le « Guide relatif à la réouverture des écoles de l’Ontario » exigeait des conseils scolaires qu’ils offrent à tous les élèves l’apprentissage à distance, que les écoles soient fermées ou qu’un parent choisisse de garder ses enfants à la maison (Davidson, 2021; ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2021; Wilson, 2021). La nécessité de planifier et de former efficacement les enseignants pour ce nouveau modèle d’apprentissage hybride semble avoir été évidente. Le modèle d’enseignement hybride utilisé exigeait des enseignants qu’ils offrent aux élèves du primaire et du secondaire entre 180 et 225 minutes d’enseignement synchrone en direct (ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2020). De nombreux conseils scolaires de la province ont rencontré cette exigence en en responsabilisant les enseignants à faire participer, en même temps les élèves qui étaient en classe (que l’on surnommait ‘roomies‘) et les élèves à distance (que l’on surnommait ‘zoomies‘) à des activités d’apprentissage. Cet enseignement simultané en classe et à distance pour les élèves, que l’on appelait dans la province « apprentissage hybride »[1], fut offert avec peu de planification, de soutien et de formation pour les enseignants autant au niveau technologique que pédagogique. Les enjeux inhérents à ce modèle hybride ont été immédiatement été critiqués (voir Fox, 2021 ; Stewart, 2021 ; Wong, 2021).
Bien que la phase 3 envisageait une période où les écoles « basculaient » ou passaient de l’apprentissage en personne à l’apprentissage à distance alors que « les états de confinement et d’ouverture, en fonction des données épidémiologiques et de la faisabilité » persistent (Alexander, 2020, para. 32), ce qui s’est produit dans la plupart des juridictions lorsque les fermetures d’écoles ont été nécessaires était toujours l’apprentissage à distance et, non l’apprentissage en ligne, car les fermetures étaient toujours considérées de nature temporaire. Cependant, à mesure que les enseignants deviennent plus aptes à enseigner et que les élèves deviennent plus aptes à apprendre dans l’une ou l’autre modalité, l’objectif est que cette transition se fasse beaucoup plus en douceur.
Les contextes d’enseignement et d’apprentissage ne sont pas dichotomiques, il ne s’agit pas d’un choix d’apprentissage en personne ou d’un choix d’apprentissage en ligne. Aujourd’hui, l’enseignement et l’apprentissage nécessitent une flexibilité afin de naviguer simultanément à travers plusieurs types ou contextes d’apprentissage (Novak et Tucker, 2021). Les pratiques usuelles de classe ont été didactiques, dirigées par les enseignants et présument une certaine uniformité, tout en enseignant à la moyenne si l’on considère un large éventail de capacités. Cette approche ne tient pas compte des besoins de temps, de rythme et des parcours flexibles requis par l’apprenant d’aujourd’hui et ne tire pas avantage des outils, des technologies et des pratiques existantes qui pourraient appuyer cette flexibilité (Arnett, 2021).
Dans la plupart des contextes d’enseignement à distance, au cours de l’année scolaire 2020-2021, se retrouvait une tentative de projection du même modèle d’enseignement de classe pour les élèves à distance que celui qui existait déjà pour les élèves en salles de classe. Il s’agissait d’une pédagogie axée sur la conformité qui principalement était basée sur le groupe, centrée sur l’enseignant et qui n’envisageait jamais un apprentissage individuel à partir d’endroits différents. Ce contexte manquait de souplesse pour s’adapter aux changements constants des circonstances et des environnements sociaux. Irvine (2021) propose « qu’il n’y aura pas de retour à l’enseignement prépandémique. Nous devons accepter la réalité que dans le système d’éducation de la maternelle à la 12e année, le besoin en flexibilité est endémique » (paragraphe 1). Cependant, dans beaucoup trop de juridictions, la pandémie n’a malheureusement pas donné lieu à la création d’opportunités d’apprentissage flexibles tirant avantage de multiples modalités et technologies comme on l’aurait espéré.
À un certain moment, la crise sera chose du passé et la pandémie sera terminée. À ce stade, les écoles devraient entrer dans la phase 4 ou une « nouvelle normalité ». Quel sera l’impact sur l’apprentissage en ligne de la maternelle à la12e après des années d’apprentissage à distance ? L’apprentissage en ligne ressemblera-t-il à ce qu’il était à l’automne 2019, c’est-à-dire avec des programmes et des écoles d’apprentissage en ligne autonomes ? Ou, l’expérience de l’apprentissage à distance conduira-t-elle à une plus grande flexibilité du système, comme le soutient Irvine ? Étant donné que l’apprentissage en ligne traditionnel était rarement de l’enseignement en direct ou de l’enseignement synchrone ou de l’enseignement dirigé par un enseignant comme nous l’avons vu pendant la pandémie, quel seront les impacts de ces modèles d’apprentissage à distance et hybride sur le système de la maternelle à la12e ? Ces questions soulignent la nécessité de continuer d’enquêter et de poursuivre la recherche dans ce domaine.
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[1] Également désigné dans les médias populaires et la littérature universitaire comme co-seating (traduction libre – co-siège), enseignement co-located (traduction libre – co-localisé) et/ou enseignement simultané (Barbour et al., 2020a ; 2020b).